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LA RENCONTRE

«Pour mener à bien la transition énergétique, il faut en actionner les leviers dans l’ordre»

En 2012, la Stratégie énergétique 2050 jetait les bases d’un changement profond de notre société. Où en sommes-nous, onze ans plus tard? Pour Arnaud Zufferey, ingénieur spécialiste de la transition énergétique, toutes les pièces du puzzle sont là pour bien faire. Encore faut-il les placer au bon endroit...

Propos Recueillis Par Élodie Maître-Arnaud
Publié le
14
/
12
/
2023
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Cet article à été réalisé en partenariat avec:

Le temps presse pour atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique 2050. Mais en confondant vitesse et précipitation, nous ferions les choses à l’envers. C’est du moins ce qu’affirme l’ingénieur Arnaud Zufferey. Cela fait dix-sept ans qu’il s’occupe de questions en lien avec la transition énergétique. Fondateur de l’entreprise valaisanne Olika, il développe aujourd’hui divers projets pour le compte d’acteurs institutionnels et d’entreprises souhaitant accélérer cette transition. Des projets qui reposent sur la science des données, et dont il assure la cohérence en s’appuyant sur les fondamentaux de l’association négaWatt: sobriété, efficacité et renouvelable. Très actif sur LinkedIn, où il vulgarise le fruit de ses réflexions, il a également mis en ligne une plateforme mettant à la disposition du grand public des calculateurs de consommation d’énergie. Rencontre avec un artisan de la transition.

GO2050 Vous affirmez que nous ferions la transition énergétique «à l’envers»… Qu’entendez-vous par là?

Arnaud Zufferey C’est le triste constat que je fais depuis des années. Quel que soit le poste que j’ai occupé, on m’a toujours approché en premier lieu pour «faire du renouvelable». Lorsque j’étais ingénieur-conseil à Sion, on me demandait d’installer du solaire sur des passoires énergétiques. Idem aujourd’hui avec les communes qui veulent que j’élabore un plan directeur pour poser des panneaux sur des bâtiments mal isolés des années 1920. Or, pour mener à bien la transition énergétique, il faut en actionner les leviers dans l’ordre.

Et quel est donc cet ordre?

Je me base sur la démarche de l’association négaWatt, qui l’a formalisé ainsi depuis de nombreuses années: 1) sobriété; 2) efficacité; 3) renouvelable. On ne peut pas commencer par produire du courant que l’on va gaspiller, c’est une question de bon sens ! Un exemple parlant est celui de l’éclairage public. D’abord, on l’éteint plusieurs heures chaque nuit (sobriété). Ensuite, on assainit le parc de luminaires en installant des ampoules LED (efficacité). Et, seulement après, on s’occupe de l’alimentation en électricité renouvelable. L’inverse n’a aucun sens du point de vue écologique et économique.

A-t-on évalué le potentiel d’économies d’énergie de la sobriété en Suisse?

Pas vraiment. L’association négaWatt Suisse évalue ce potentiel à 134 pétajoules d’ici à 2050, ce qui est colossal. Mais je ne connais pas leurs méthodes de calcul, je ne suis donc pas tout à fait à l’aise pour citer ces chiffres. Je préfère pousser nos élus pour qu’ils incitent le Conseil fédéral à demander à l’Office fédéral de l’énergie de faire cette évaluation. Pour l’heure, l’OFEN a publié des dizaines de rapports sur les énergies renouvelables, quelques-uns sur l’efficacité, mais rien sur la sobriété. Le débat public se focalise quant à lui sur le retour du nucléaire, les éoliennes qui gâchent le paysage ou encore les enjeux du solaire alpin, mais ne se préoccupe pas davantage de la sobriété. Ou alors pour la confondre avec l’austérité, la privation ou la décroissance.

Il y a un an, la campagne d’économies d’énergie de la Confédération battait son plein, sur fond de risque de pénurie. Elle n’a pas été reconduite cet hiver…

J’ai pensé naïvement l’hiver dernier que la sobriété allait enfin prendre racine dans le débat public. Mais non, nous voilà repartis sur les thèmes habituels. Je me demande même si l’OFEN (qui a chapeauté cette campagne, ndlr) a conscience qu’il s’agissait de mesures de sobriété. Il faut dire que la sobriété est rarement identifiée comme telle. Pourtant, les initiatives en ce sens sont très nombreuses et concernent un tas de domaines: l’habitat, la chaleur, la mobilité, la stratégie de certaines entreprises, les écogestes, etc. Mais elles ne sont pas regroupées de façon claire et lisible sous le terme « sobriété ». On a vraiment besoin d’un rapport de synthèse de l’OFEN pour faire l’inventaire de ces mesures, analyser leur potentiel, leurs forces et faiblesses, sans oublier les acteurs.

À défaut de campagne, pouvez-vous proposer ici un petit rappel des bases de la sobriété?

La sobriété n’engage aucun investissement; il s’agit juste d’être plus attentif à sa consommation. C’est un simple choix d’usage que nous devrions toutes et tous avoir en tête, dans tous les domaines du quotidien. Pour économiser l’électricité, il n’y a ainsi rien de plus simple que d’éteindre la lumière en quittant une pièce. Dans le cadre de la mobilité professionnelle, par exemple, on devrait toujours se demander si tel ou tel déplacement est nécessaire. On parle d’autoroute à six voies entre Lausanne et Genève, mais combien de trajets pourraient être remplacés par des coups de fil? Idem pour le chauffage: rien qu’en Valais, avec 40% de résidences secondaires, le potentiel d’économie est énorme si on maintient ces dernières simplement hors gel quand elles sont inoccupées. Et ça ne gêne en rien le confort !

Deuxième levier pour agir sur la consommation: l’efficacité énergétique. De quoi parle-t-on?

L’efficacité, c’est offrir le même service avec le moins d’énergie possible. Elle peut être représentée très simplement par l’étiquette-énergie, qui note de A à G de nombreux biens de consommation. Selon un rapport de l’OFEN, rien que pour l’électricité, le potentiel d’économie est estimé entre 25 et 40%, soit entre 14 et 23TWh par année. C’est gigantesque! C’est l’équivalent de la production annuelle de deux grosses centrales nucléaires, 4000 grandes éoliennes ou 800 parcs solaires alpins. Et ce, sans délai, sans opposition, sans atteinte au paysage et avec une excellente rentabilité.

Les moyens à disposition pour favoriser l’efficacité énergétique vous semblent-ils suffisants?

Plusieurs programmes de subventions permettent d’alléger la note, les investissements pouvant en effet être conséquents. C’est le cas de ProKilowatt, le programme officiel de la Confédération pour l’efficacité électrique, qui représente quelque 40 millions de francs de subventions par an. Ce qui est dérisoire par rapport aux 3 milliards de francs de soutien pour le solaire alpin. Attention, je suis favorable au solaire mais, de nouveau, on fait les choses à l’envers en ne mettant pas le paquet d’abord sur le levier de l’efficacité. On oublie aussi qu’il serait très simple d’interdire systématiquement la vente des appareils les plus inefficients. On le fait notamment pour les ampoules. Mais on peut aujourd’hui encore acheter un pommeau de douche de classe G. Une hérésie quand on sait que l’eau chaude représente 15% de la consommation d’énergie dans les bâtiments (soit entre 6 et 7TWh par an)!

Pour la production d’énergie renouvelable, vous dites qu’il faut «cueillir les fruits mûrs en premier»… Là aussi, nous ferions donc les choses à l’envers?

Prenez le photovoltaïque: pourquoi accorder plus de 60% de subventions au solaire alpin et rien au solaire de balcon? En montagne, il y a des centaines de balcons orientés plein sud à équiper afin de produire du courant au plus près des consommateurs. Mais zéro franc pour encourager leurs propriétaires. C’est un non-sens!

Mais dix balcons à équiper, ce sont aussi dix oppositions potentielles…

Actuellement, c’est effectivement compliqué; la démarche n’est pas simplifiée comme pour le solaire en toiture. Il faut l’accord du gestionnaire de réseau et une mise à l’enquête communale, sans compter l’aval de la PPE. Mais n’oublions pas que, dans le cas du solaire alpin, on a modifié la loi pour simplifier les choses. Faisons de même pour le solaire au balcon et, en ajoutant quelques subventions, ça se vendra comme des petits pains ! Il y a vraiment du potentiel pour poser du photovoltaïque sur un tas d’infrastructures existantes, de quoi produire deux fois ce que l’on consomme en Suisse selon les estimations. On doit maintenant choisir les meilleures options pour les lieux d’installation, en tenant compte des coûts et des concessions à faire. Et en restant lucide sur le manque de ressources humaines pour répondre à une demande en forte croissance.

Doit-on aussi continuer à aller de l’avant avec l’éolien?

Les délais sont trop longs – vingt-cinq ans de procédure pour faire tourner une éolienne! Et la production totale est faible, avec un nombre d’installations dérisoire par rapport à nos voisins européens – seulement 140 sont en service en Suisse. J’ai un pincement au cœur quand je compare cela au potentiel d’économies des mesures d’efficacité, estimé, je le redis, à l’équivalent de la production de 4000 grandes éoliennes. Reste qu’il y a là une source d’énergie intéressante, car l’éolien produit les deux tiers de son électricité en hiver; c’est ce qu’il nous faut pour un mix énergétique équilibré. Mais, en parallèle, il va falloir arrêter de gaspiller tout ce courant!

La Suisse n’a-t-elle pas voulu aller trop vite en votant la fin du nucléaire?

Non, le potentiel de l’efficacité est largement suffisant pour remplacer le parc nucléaire. D’autant que la Suisse n’a ni uranium, ni filière de construction de réacteurs ; cette voie ne nous confère donc aucune indépendance énergétique. Mais si je suis en phase avec les objectifs de sortie du fissile et du fossile, je déplore le manque de cohérence politique dans la mise en œuvre des leviers de la transition énergétique. Il me semble que l’on procrastine sur les étapes. Interdire les chauffages électriques? «On verra plus tard.» Faciliter le solaire? «Pas systématiquement.» Évaluer le potentiel de la sobriété? «Bof.» J’ai le sentiment que l’on débat d’une mesure par-ci, d’une mesure par-là, avec pas mal d’émotionnel et peu d’efficacité. Et puis chaque canton joue de son instrument dans son coin, sans chef d’orchestre pour coordonner tout ça. Je ne suis pas certain que cette cacophonie nous permette d’atteindre les objectifs en 2050.

Selon vous, parviendra-t-on à se passer du pétrole avant que la ressource ne s’épuise?

Je le pense. Déjà parce que les réserves sont encore gigantesques. Mais surtout parce que les technologies basées sur les énergies renouvelables sont de plus en plus efficientes. Par exemple, une pompe à chaleur est aujourd’hui beaucoup plus rentable que n’importe quelle chaudière à énergie fossile. Idem en matière de mobilité, où l’efficacité de tous les modes de transport électrique devrait peu à peu s’imposer. À certains égards, la transition est donc bien plus rapide qu’on ne l’imagine, justement en raison de cette efficacité énergétique. Je pense que nous avons dépassé un point de bascule, avec la prise de conscience des enjeux climatiques, le resserrement des bases légales et la baisse des prix des technologies efficientes et durables. La courbe d’adoption de ces technologies n’est pas linéaire: les débuts ont été lents, mais cela va exploser.

Des calculateurs pour économiser l’énergie

Développée par Arnaud Zufferey, la plateforme en ligne energuide.ch met à disposition des calculateurs simples d’utilisation afin de démocratiser les connaissances en matière d’efficacité énergétique. Gratuits et anonymes, ils permettent à toute personne intéressée de mesurer sa consommation dans plusieurs domaines: ménage, électricité, chauffage, eau chaude, mobilité, etc. «C’est toujours plus parlant quand on fait le test soi-même», affirme l’ingénieur. «Un peu comme pour le cholestérol: les campagnes de prévention, c’est bien, mais ça ne devient vraiment concret qu’une fois que vous lisez vos propres analyses!».

À vous de jouer, c’est ici que ça se passe: ➜ www.energuide.ch

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Photographies Sedrik Nemeth

Également disponible dans:
N° 2 - Décembre 2023
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