Réchauffement climatique - Quelles solutions pour rafraîchir nos bâtiments?
Notre parc immobilier bâti, vieillissant et souvent mal isolé, doit se préparer à encaisser des températures caniculaires. Nos intérieurs devront s’adapter sans pouvoir compter sur des systèmes de rafraîchissement trop énergivores. Et pour aller de l’avant, il serait pertinent de regarder en arrière.
D'ici la fin du siècle et selon les scénarios climatiques actuels, le mercure devrait grimper d’environ 2° C (par rapport à la moyenne 1981-2020). Selon MétéoSuisse, près d’un été sur deux sera alors comparable à celui que nous avons connu en 2003. Sachant que celui-ci a été mesuré comme le plus chaud depuis au moins cinq-cents ans, parions que les surchauffes estivales dans les bâtiments deviendront problématiques, avec leur lot d’impacts, notamment sur la santé des personnes, en particulier les plus vulnérables, et sur la productivité des travailleurs. Dès lors, comment adapter nos bâtiments et faire en sorte qu’ils demeurent habitables en été? Comme toujours, il n’existe pas de réponse simple à une question complexe. «On rénove des bâtiments aux vécus et aux modes de construction différents, c’est pourquoi il faut aborder la question des rénovations thermiques au cas par cas», relève Emmanuelle Gallo, architecte et historienne du génie climatique, du patrimoine et des stratégies thermiques contemporaines. Pour Stéphane Emery, co-président de l’association Architectes pour le climat (lire l’encadré ci-dessous), la solution passe par l’addition de plusieurs systèmes et par l’utilisation des ressources de manière rationnelle. Sans oublier une bonne dose d’adaptation et de réflexion.
La climatisation jette un froid
La Hochschule de Lucerne prévient: en 2050, l’énergie qu’il faudra pour rafraîchir les logements en été sera supérieure à l’énergie nécessaire pour les chauffer en hiver. Et le non-sens écologique serait de compter sur la seule climatisation. Car qui dit plus de climatiseurs dit plus de consommation énergétique, plus d’émissions de gaz à effet de serre, plus de chaleur et donc plus de climatiseurs. Un cercle infernal! À noter qu’en retirant des calories des intérieurs pour les rejeter vers l’extérieur, les systèmes de climatisation contribuent également au phénomène d’îlots de chaleur en ville. «La climatisation est là pour sauver les meubles, déplore Stéphane Emery. Si un bâtiment est bien conçu, avec des matériaux offrant une bonne inertie, une isolation correcte et une bonne aération, des protections solaires adéquates ou encore de la végétation extérieure, la climatisation devrait être inutile.» Et d’ajouter qu’elle doit être réservée à des usages spécifiques, comme c’est le cas dans les hôpitaux, pour l’alimentation ou en matière de conservation de biens culturels par exemple. Pour rafraîchir un bâtiment d’habitation, mieux vaut se tourner vers un système de pompe à chaleur avec sondes géothermiques. «Elles offrent le meilleur rendement et sont donc à privilégier», précise le bureau d’architectes Lutz. «Elles permettent aussi d’inverser le système en été: en puisant le froid dans le sol, elles refroidissent l’air intérieur.»
Réflexions sur les vitrages et l’isolation
Les grandes surfaces vitrées fonctionnant comme de véritables capteurs solaires, l’une des approches pour éviter la surchauffe est donc de bloquer les rayons de manière naturelle. Au-delà du travail sur la proportion équilibrée et les performances des vitrages, on mise également sur les protections solaires extérieures – et non pas intérieures, pour éviter l’effet de serre derrière les vitres. Il existe des systèmes mobiles (stores, volets roulants ou battants, panneaux coulissants, etc.) et des systèmes fixes (casquettes, brise-soleil, avant-toits, etc.). Le bureau d’architectes Lutz préconise également de placer les fenêtres en retrait de la façade. Côté isolation, Emmanuelle Gallo explique que l’une des causes de surchauffe dans les maisons contemporaines tient au fait que les isolants synthétiques utilisés neutralisent l’inertie thermique. «De plus, certains bloquent l’humidité et empêchent la migration de la vapeur d’eau dans les murs. Or, ce phénomène concourt au rafraîchissement estival.» Et de citer certaines bâtisses anciennes, construites avec des matériaux traditionnels, qui n’avaient jamais rencontré de problèmes thermiques en été… avant qu’on ne les isole de l’intérieur.
Nos experts
Les matériaux anti-surchauffe
De façon générale, le choix des matériaux de construction revêt une importance cruciale. Si les plus anciens sont parfois les meilleurs pour garder la fraîcheur, l’idéal est d’en combiner plusieurs. Offrant de bonnes propriétés d’isolation thermique et de régulation de l’humidité naturelle, la terre crue a le vent en poupe. De plus, elle est abondante et locale, et ne nécessite pas de cuisson. «Les constructions intégrant la terre crue se multiplient», confirme Stéphane Emery, qui est également professeur à la Haute École d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. «Certains étudiants proposent des projets avec des voûtes en terre crue et paille. Il y a trois ans, on ne voyait pas cela; on sent qu’il y a une prise de conscience.» Bois d’origine durable, paille, chanvre ou encore chaux (à base de calcaire) et bauge (à base de terre crue et de paille): de nombreux autres matériaux géo ou biosourcés ouvrent des possibles plus qu’intéressants. «Mais tant que l’énergie ne coûtera pas vraiment cher et que l’impact climatique réel des matériaux ne sera pas taxé, ils auront de la peine à s’imposer, déplore Stéphane Emery. C’est une question politique et nous sommes encore malheureusement loin du but. Pour le moment, le béton est toujours trop bon marché par rapport à son impact sur le climat.»
Du vert, du bleu et du blanc
Autres approches pour rafraîchir nos maisons: planter du vert et valoriser le bleu! En effet, la végétalisation des toitures et des rues, tout comme la préservation du cycle de l’eau, sont considérées comme des solutions pertinentes. Le nouveau standard Minergie-Quartier intègre ainsi cette réalité: en se basant sur le principe de «ville éponge», une gestion des eaux pluviales aussi naturelle que possible est mise en œuvre au moyen de diverses mesures. Peindre les toits, les rails et/ou les chaussées en blanc pour refléter la chaleur est une autre approche, testée dans plusieurs villes à travers le monde. Certains lui reprochent toutefois d’affecter la biodiversité et d’engendrer une pollution quand la peinture écaillée se mêle au ruissellement des eaux de pluie. Un asphalte intégrant des granulats clairs est actuellement expérimenté dans une rue de Sion; les premiers résultats semblent peu concluants: «Une diminution des températures a pu être mesurée sur le revêtement, mais elle est insuffisante pour être ressentie par les habitants à proximité», explique Lucien Pignat, ingénieur environnement au Service de la mobilité du canton du Valais. «Pour être efficace, cette mesure doit être combinée avec d’autres, comme la végétalisation des chaussées et des toits.»
Le bon sens de l’architecture vernaculaire
À contre-courant de la logique de standardisation actuelle, le bâti vernaculaire se réinvente pour proposer des solutions low-tech adaptées aux exigences contemporaines. L’architecture vernaculaire désigne des styles de construction façonnés en harmonie avec leur environnement, avec des matériaux locaux choisis en fonction de leur capacité naturelle à réguler l’humidité de l’air, la ventilation et l’inertie thermique. Pour un rafraîchissement passif, les «tours de vent» (ou Bâd-gîr: capteurs de vent, en persan) permettent ainsi de faire descendre le vent dans des cheminées historiquement bâties en adobe – mélange d’argile, de paille et d’eau –, où l’air chaud, plus léger, remonte et s’évacue par un autre conduit. Autre exemple dans le sud de la France avec les «volets à la niçoise», situés sur les portes d’entrée et les patios intérieurs, et qui permettent de créer un effet cheminée pour rafraîchir les espaces. Mais la concurrence des technologies contemporaines, le cadre normatif, le coût et le savoir-faire de la main-d’œuvre, tout comme les clichés associés aux matériaux naturels («c’est pour les pauvres!»), sont de puissants freins à l’adaptation de tels systèmes sous nos latitudes. Intégrer ces approches dans l’existant n’est en outre pas toujours adéquat. Emmanuelle Gallo rappelle toutefois qu’il serait bon de s’ancrer à nouveau dans la terre pour l’habitat individuel: «Auparavant, on construisait des maisons posées sur le sol, voire semi-enterrées s’il y avait une pente. Le sol du rez-de-chaussée et les maçonneries en contact avec le sous-sol apportaient ainsi de la fraîcheur. Depuis l’après-guerre, nos constructions reposent sur des fondations, et les dallages sont isolés par un vide sanitaire, se privant ainsi de la fraîcheur des caves.» Stéphane Emery perçoit quant à lui une grande créativité et le besoin de composer le futur en s’inspirant du passé. «Nous traversons une époque stimulante, où il ne faut pas avoir peur de penser autrement. Les solutions existent, nous devons être prêts à nous poser de nouveau les questions fondamentales», conclut-il.
Les habitants au cœur du système Aucune habitation ne ressemblera jamais à une autre
L’orientation, les ombres portées des bâtiments avoisinants, l’étage: de nombreux éléments rendent chaque habitat unique, et il en va de même pour les solutions à y apporter pour le rafraîchir. Autre paramètre important à prendre en compte: le nombre d’habitants et leurs habitudes. Le confort est en effet affaire de perception, variant d’une personne à l’autre. Nos comportements individuels en la matière sont complexes et dépendent de notre culture, de nos croyances, de notre âge, de notre métabolisme, etc. Les habitants que nous sommes jouent ainsi un rôle central pour limiter les surchauffes estivales. Si la climatisation a induit une idée de facilité du refroidissement des bâtiments, des gestes simples peuvent suffire à atténuer le ressenti des fortes chaleurs et modifier notre rapport aux solutions technologiques: fermer les stores et les volets avant que le soleil n’entre dans le bâtiment, ouvrir les fenêtres la nuit, éteindre les appareils électriques non utilisés et les lampes qui dégagent de la chaleur. Ou encore s’habiller (et se déshabiller!) en conséquence.
Petit point vocabulaire
Potentiel hygroscopique - Capacité d’un matériau à absorber l’excès d’humidité pour le libérer lorsqu’il fait sec.
Conductivité thermique - Capacité d’un matériau à transférer la chaleur. Plus la conductivité thermique d’un matériau est élevée, plus il est efficace pour conduire la chaleur. À l’inverse, un matériau à faible conductivité thermique est un isolant thermique efficace, car il ralentit le transfert de chaleur.
Inertie thermique - Capacité d’un matériau à stocker et à dégager de la chaleur sur une période prolongée.
Respirabilité - Capacité d’un matériau à permettre la circulation de l’air et de la vapeur d’eau à travers lui.
Matériaux géo et biosourcés - Les matériaux géosourcés sont extraits directement de la terre (pierre, sable, argile, gravier, calcaire, etc.) et offrent l’avantage de stocker du CO2. Les matériaux biosourcés ont quant à eux l’avantage de repousser (bois, paille, bambou, liège, etc.).
Petit point vocabulaire
Potentiel hygroscopique - Capacité d’un matériau à absorber l’excès d’humidité pour le libérer lorsqu’il fait sec.
Conductivité thermique - Capacité d’un matériau à transférer la chaleur. Plus la conductivité thermique d’un matériau est élevée, plus il est efficace pour conduire la chaleur. À l’inverse, un matériau à faible conductivité thermique est un isolant thermique efficace, car il ralentit le transfert de chaleur.
Inertie thermique - Capacité d’un matériau à stocker et à dégager de la chaleur sur une période prolongée.
Respirabilité - Capacité d’un matériau à permettre la circulation de l’air et de la vapeur d’eau à travers lui.
Matériaux géo et biosourcés - Les matériaux géosourcés sont extraits directement de la terre (pierre, sable, argile, gravier, calcaire, etc.) et offrent l’avantage de stocker du CO2. Les matériaux biosourcés ont quant à eux l’avantage de repousser (bois, paille, bambou, liège, etc.).
Architectes pour le climat
L’association Architectes pour le climat regroupe des architectes et des personnes actives, de près ou de loin, dans le domaine de l’environnement bâti et du territoire. C’est une association indépendante, dont l’organisation et les activités sont agiles et évolutives. Née en 2022, elle informe et sensibilise sur les savoirs développés par les différents acteurs de l’environnement bâti et du territoire, tout en soutenant les dynamiques et solutions qu’ils ont initiées. Les activités proposées sont multiples: conférences, débats, visites, ateliers pratiques, rencontres, mises en commun et discussions, le tout accessible gratuitement et à tout public.