Je possède une liseuse. Le mois dernier, constatant que sa batterie flanchait, j’ai contacté le vendeur pour savoir s’il y aurait moyen de la remplacer. Sa réponse: «Renvoyez-nous l’article défectueux à nos frais, nous vous l’échangerons gratuitement contre un neuf.» Passé les premières secondes d’euphorie, je me suis interrogée: écologiquement parlant, cette solution ne me paraissait guère satisfaisante, ce genre de jouet étant truffé de métaux et de terres rares dont l’extraction est très loin d’être environnementalement correcte. Hélas, le fabricant n’étant pas en mesure de remplacer uniquement cette fichue batterie, j’ai fini par réexpédier l’engin.
Cette histoire est emblématique: à combien de reprises avons-nous renoncé à réparer mixeur, lave-linge ou machine à café, tout simplement parce que ce geste était trop onéreux, chronophage ou que les pièces détachées n’existaient pas ou plus? Combien de fois avons-nous envoyé ordinateur, tablette ou smartphone à la retraite faute de pouvoir effectuer les mises à jour, en pestant contre l’obsolescence de ces engins que l’on qualifie volontiers de programmée?
Obsolescence absolue, relative ou programmée ?
Selon Dario Hug, avocat et enseignant aux universités de Neuchâtel et de Zurich, la thématique est complexe. Pour lui, la notion d’obsolescence – «en soi inéluctable, aussi pour le vivant» – pose les questions de la durée de vie que l’on peut raisonnablement attendre des objets, et celle de leur usure. «Elle peut être absolue, lorsqu’elle intervient en relation avec la durée de vie technique du produit, ou relative, c’est-à-dire liée à la décision du consommateur de changer de produit.» Et lorsqu’on la dit «programmée», on sous-entend habituellement que l’on s’attendait à ce que le produit fonctionne plus longtemps.
«L’obsolescence peut être problématique à deux niveaux: sur le plan environnemental, par le gaspillage de ressources qu’elle peut impliquer, et au regard du droit des contrats, puisque la qualité promise ou raisonnablement attendue par l’acheteur n’est pas fournie», poursuit-il. La durée de vie des objets, tout comme leur réparabilité d’ailleurs, ne mériterait-elle pas de figurer dans la loi?
Vers un droit à la réparation
La France s’est emparée de la question: en janvier 2021, elle a lancé un indice de réparabilité. Il prend la forme d’une étiquette combinant un pictogramme (du vert au rouge) et une note (de 1 à 10), un peu sur le modèle des étiquettes-énergie. Cet indice ne s’applique pour l’instant qu’à une dizaine d’appareils électroménagers d’usage courant, du lave-linge au smartphone en passant par l’ordinateur portable, le téléviseur ou la tondeuse à gazon. Destinée à «orienter les comportements d’achat (des consommateurs) vers des produits plus facilement réparables», comme le résume la Direction interministérielle de la transformation publique, qui s’occupe du projet, cette information a surtout le mérite de rappeler qu’il est possible d’allonger la durée de vie d’un objet en le réparant. Seule ombre au tableau: l’indice se base sur les indications fournies par les fabricants et non par un organisme indépendant.
En Suisse, le droit à la réparation d’un objet n’existe pas légalement (il peut cependant être prévu sur une base contractuelle). Un rapport du Conseil fédéral de juin dernier propose toutefois de l’introduire. «C’est assurément un pas dans la bonne direction, bien qu’il ne faille pas perdre de vue que les vendeurs ne sont pas toujours en mesure de réparer le bien qui leur est livré par les producteurs dans la chaîne logistique», souligne Dario Hug. Selon lui, il convient aussi d’agir à la source, autrement dit, de permettre à l’acheteur de renvoyer l’appareil au fabricant pour qu’il le répare dans un délai raisonnable, et d’encourager la production d’objets réparables.
À vos tournevis!
À la Fédération romande des consommateurs (FRC), où l’on planche sur ces questions d’obsolescence et de réparabilité depuis… 1979, on ne dit pas autre chose. Des tests comparatifs aux annuaires de réparateurs en passant par l’organisation de «repair cafés», l’association met tout en œuvre pour éviter le gaspillage. «Des changements législatifs sont nécessaires au passage à une économie circulaire favorable à l’environnement et aux consommateurs», résume Laurianne Altwegg, responsable du domaine Environnement à la FRC. «Pousser les fabricants à mieux concevoir leurs produits, interdire l’irréparabilité des plus gourmands en ressources et afficher les informations sur leur durabilité serait un début.»
Mais – et cela complique la donne – tous les appareils ne sont pas égaux. Mettre à disposition les pièces détachées n’a pas toujours du sens sur le plan écologique. «En revanche, pour l’électronique – qui contient des métaux dont l’extraction coûte cher à tous les niveaux, y compris social –, prolonger leur utilisation est essentiel pour ralentir le cycle des matières. D’où l’intérêt des filières d’occasion et de reconditionnement», esquisse-t-elle.
En résumé, des réponses variées
Pour Dario Hug, les solutions sont plurielles et complémentaires: «Augmenter le délai de garantie est une piste. Agir au niveau de la production en misant sur l’écoconception des objets et leur réparabilité en est une autre. Cela implique aussi de mettre à disposition des pièces de remplacement et de déterminer la durée pendant laquelle elles seront disponibles.» Et pour que les consommateurs soient à même d’effectuer leur choix en connaissance de cause, il explique qu’il faudrait veiller à mettre certaines de ces informations à leur disposition.
Autre levier d’action, le contrat de vente: «Inclure la notion de durée de vie habituellement attendue du produit dans la définition même du défaut permet d’intégrer des considérations de durabilité dans le droit de la vente», ajoute-t-il. Dans son rapport récent, le Conseil fédéral propose justement de réviser la notion de défaut en ce sens. De même, s’il appartient toujours aux acheteurs d’apporter la preuve du défaut de la chose acquise, cela pourrait bien évoluer prochainement.