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Le dossier

L’électricité sous haute surveillance

La société nationale Swissgrid est chargée de transporter l’électricité sur son réseau à très haute tension à travers le pays, et au-delà. Pour gérer finement la circulation de cette ressource stratégique, elle s’appuie sur ses deux centres de conduite basés à Aarau et Prilly. Rendez-vous est ainsi pris pour une visite du centre de commande vaudois.

Texte Joëlle Loretan - Illustrations Reto Crameri
Publié le
26
/
09
/
2023
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Cet article à été réalisé en partenariat avec:

Que la lumière s’allume lorsque nous appuyons sur un interrupteur ou que notre ordinateur se recharge lorsque nous le branchons au secteur sont devenus des évidences. L’électricité nous accompagne en permanence et, pourtant, on ne la remarque que lorsqu’elle vient à manquer. L’Europe n’a pas connu de pénurie l’hiver dernier, et c’est tant mieux, car la liste des perturbations liées à un manque d’électricité est longue. Imaginez: des coupures d’éclairage public, de télécommunications, de signalisation routière, d’ascenseurs, de transports publics, de systèmes de chauffage, de climatisation, de traitement et de distribution d’eau, dans les industries et les commerces, etc. La situation serait très difficile et les conséquences économiques importantes. Le manque d’électricité paralyserait nos infrastructures et impacterait des millions de personnes. En assurant la stabilité du réseau de transport, Swissgrid joue un rôle capital. Ainsi, nous apprenons à notre arrivée à Prilly que le centre de conduite… ne se visite pas! Il s’observe à travers un double vitrage résistant aux impacts de balles. «Nous exploitons l’une des infrastructures les plus critiques de Suisse», rappelle Marie-Claude Debons, porte-parole de Swissgrid. Le Graal de la gestion du transport électrique, en quelque sorte. Personne n’y entre, sauf les spécialistes chargés de piloter cette précieuse énergie.

Derrière le rideau

Il y a un petit côté spectaculaire à voir ces stores lever doucement leurs lamelles sur le centre de conduite. Dans la salle ce matin-là, les collaborateurs ont les yeux rivés sur les écrans. À Prilly comme à Aarau, l’électricité se guide en continu, 24h/24 et 7j/7. «Les deux sites sont redondants, explique Cécile Jost, responsable du centre de conduite de Prilly. S’il y a un problème dans l’une des salles, une inondation, un incendie, l’autre a la capacité de reprendre immédiatement la main sur l’intégralité des tâches.» En cas d’urgence, Swissgrid a également la possibilité d’héliporter des spécialistes d’un site à l’autre.

Mais aujourd’hui, tous les indicateurs sont au vert. Sur les nombreux moniteurs, on peut suivre l’état du réseau de transport, les capacités électriques à disposition, les lignes en service et celles en maintenance, ou encore les flux de courant entrants et sortants de notre pays. «Des simulations nous indiquent les prévisions à une, deux et trois heures, poursuit Cécile Jost, ce qui nous permet de réorienter le flux d’électricité en permanence.»

Garder l’équilibre

Un des grands défis pour les ingénieurs est en effet de maintenir en permanence une fréquence de 50 hertz dans le réseau. Pour ce faire, la production et la consommation d’électricité doivent être équilibrées en tout temps. Là encore, les projections aident au pilotage. «Nous avons des prévisions à un an, un mois, une semaine, deux jours, un jour, puis toutes les heures jusqu’au moment T», précise Cécile Jost. Et si le moindre déséquilibre se fait sentir, Swissgrid peut faire appel à l’énergie de réglage pour garantir la stabilité du réseau: si la consommation d’électricité augmente, Swissgrid demande aux grands producteurs d’injecter davantage d’énergie dans le réseau, et inversement.

Grâce à leur immense capacité de stockage de l’électricité, couplée à leur puissance et leur flexibilité, les centrales de pompage-turbinage sont à l’heure actuelle un rouage essentiel pour garantir cette stabilité. Et, en la matière, la Suisse est bien lotie, avec la mise en service récente de la centrale de Nant de Drance (Valais) et son raccordement au réseau à très haute tension. «Elle permet d’équilibrer le réseau au niveau européen, explique Marie-Claude Debons. Elle peut en effet augmenter ou baisser sa production électrique, ou passer du pompage au turbinage à pleine puissance (plus ou moins 900MW) en moins de dix minutes, soit une puissance comparable à celle d’une centrale nucléaire de taille moyenne», précise la porte-parole. Grâce à ses centrales de pompage-turbinage, la Suisse joue ainsi, en coulisses, un rôle majeur sur la scène européenne afin de garantir l’équilibre.

Quels défis pour les autoroutessuisses de l’électricité?

Intégrer les énergies renouvelables

Le système électrique suisse traverse la plus grande mutation de son histoire. La transition énergétique implique en effet un changement de paradigme: passer d’un système de production énergétique centralisé à un système de production décentralisé. La production de courant via des sources d’énergies renouvelables, par essence intermittentes, mais aussi les impératifs de stockage de l’électricité, ainsi que l’augmentation de la consommation due notamment à la mobilité et aux chauffages, représentent autant de défis supplémentaires pour l’exploitation sûre du réseau. Confrontées à ces nouvelles exigences, les capacités de transport d’électricité doivent ainsi être augmentées, à travers la modernisation et la construction de nouvelles lignes.

Jongler avec la lenteur des procédures

Les procédures d’autorisation et d’approbation de la Confédération pour la construction ou la modernisation de lignes très haute tension sont longues, trop longues. Il faut actuellement compter environ 15 ans entre le début d’un tel projet et sa mise en service. Mais ces délais sont parfois souvent plus longs: il aura ainsi fallu 36 ans pour mettre en service la ligne entre Chamoson et Chippis, en Valais!

S’appuyer sur la digitalisation

L’analyse des données et les technologies numériques sont des outils précieux dans un contexte énergétique en pleine mutation. En 2018, Swissgrid a ainsi cartographié ses installations àl ’aide de prises de vues aériennes numériques et d’une technique de scannage trois dimensions. Les lignes, les pylônes, les terrains, les objets et la végétation ont ainsi été répertoriés. Il est désormais possible d’accéder à de nombreuses informations sur les installations et leur environnement en temps réel, mais également de planifier les travaux de maintenance et de modernisation. En 2020, Swissgrid a par ailleurs mis sur pied la plateforme Equigy, développée en partenariat avec différents opérateurs de réseaux européens. Elle permet, grâce à la technologie blockchain, de regrouper et de gérer plus facilement de petites unités flexibles de production d’électricité afin de les utiliser pour stabiliser le réseau.

Les chiffres

6700 km

de lignes très haute tension en Suisse

12’000 pylônes

très haute tension en Suisse

41 liaisons

transfrontalières

250’000 km

(six fois le tour de la Terre), la longueur total du réseau électrique en Suisse

15minutes

letemps nécessaire pour parcourir à pied la plus longue distance à vol d’oiseauentre deux pylônes de très haute tension

Le casse-tête européen

Mais si notre pays occupe une position stratégique et géographique centrale, reliée à ses voisins par 41 lignes (points d’interconnexions), Swissgrid est pourtant menacée d’exclusion des organes et des plateformes d’énergie de réglage européens, à défaut d’accord sur l’électricité. En 2014, le timide oui dans les urnes à l’initiative «Contre l’immigration de masse» a en effet non seulement remis en cause le principe de la libre circulation des personnes, mais aussi suspendu les négociations pour un accord sur l’intégration de notre pays dans le nouveau marché européen de l’électricité. «L’Europe édicte des règles pour la gestion du réseau au sein du marché intérieur. La Suisse étant considérée comme un État tiers, nous exploitons l’infrastructure selon des normes de plus en plus divergentes», regrette la porte-parole. Progressivement exclue des instances et des plateformes européennes, Swissgrid fait par ailleurs face à une augmentation des flux de charge non planifiés sur son réseau de transport: un véritable exercice d’équilibriste! À défaut d’accord, notre capacité d’importation pourrait également être limitée, ce qui mettrait en péril notre sécurité d’approvisionnement, notamment hivernale: la Suisse compte en effet sur ses voisins (en 2021, nous dépendions à 70% de l’étranger pour notre approvisionnement en énergie). Nous sommes donc aujourd’hui un acteur de seconde zone: triste réalité pour un pays considéré comme le berceau du réseau électrique européen! (lire ci-dessous).

Des rouages invisibles

La visite du centre de conduite touche à sa fin et Cécile Jost jette un dernier coup d’œil aux écrans. «Tiens, l’Italie exporte de l’électricité, c’est très rare. Peut-être que leurs panneaux solaires produisent beaucoup en ce moment ou que le vent souffle peu en Allemagne?» s’étonne la responsable. Puis elle réalise: «C’est férié aujourd’hui en Italie, les industries tournent au ralenti!» Une remarque qui nous rappelle à nouveau le grand nombre de facteurs qui influent sur le réseau de transport d’électricité: le comportement des consommateurs, les énergies renouvelables (et leur production intermittente), la météo (et les possibles dommages sur les lignes), mais également l’état des infrastructures, les accords (ou non) sur l’électricité ou encore les conflits à nos frontières.

En quittant le site de Prilly, on saute dans un bus électrique, on pose ses écouteurs sur les oreilles et on enclenche la musique sur son téléphone portable, chargé la nuit dernière grâce à une prise de courant. Tout en profitant de la fraîcheur distillée dans le véhicule par le système de climatisation, on a une pensée pour ces gardiens de l’énergie que l’on vient de quitter. Des femmes et des hommes de l’ombre, au service de la lumière.

Swissgrid en bref

Swissgrid est la société nationale responsable du réseau de transport de l’électricité. Elle emploie plus de 700 collaborateurs de 28 nationalités différentes et aime à comparer son réseau à des «autoroutes de l’électricité». Elle est en effet chargée de transporter l’énergie des grandes unités de production suisses vers les centres de distribution. Il incombe ensuite aux gestionnaires de réseau de réduire la tension (de près de 1000 fois!) via les différents niveaux du réseau, pour que le courant arrive finalement dans nos prises à 230 volts. Swissgrid n’est donc responsable ni de la production, ni de la distribution aux consommateurs finaux: elle gère uniquement le transport via les lignes à très haute tension (380’000 volts = 380kV et 220’000 volts = 220kV).

Les missions de Swissgrid sont définies dans la Loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl). En qualité de membre du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (ENTSO-E), Swissgrid assume en outre diverses fonctions qui soutiennent la coordination et l’utilisation du réseau dans le cadre des échanges d’électricité en Europe.

Prix de l’électricité: quelle part pour le transport?

Sur le prix total de l’électricité payé par les consommateurs finaux, les coûts du réseau de transport de Swissgrid s’élèvent en moyenne à 7%. En 2024, un ménage présentant une consommation annuelle de 4500 kilowattheures (kWh) – logement de 5 pièces avec cuisinière électrique et sèche-linge (sans chauffe-eau électrique) – paiera donc environ 92 francs pour le transport de son électricité. La structure des tarifs est strictement définie par la Loi sur l’approvisionnement en électricité et l’Ordonnance sur l’approvisionnement en électricité.

Au cœur de l’Europe: l’étoile de Laufenburg

En 1958, une étape révolutionnaire dans l’histoire de l’électricité a été franchie lorsque les réseaux électriques allemand, français et suisse se sont entrelacés, connectés par une tension commune de 220 kilovolts, dans la vallée argovienne de Frick. Cette convergence électrique a donné naissance au célèbre nœud de transmission baptisé l’«étoile de Laufenburg». Ce point de couplage emblématique marqua aussi la naissance du réseau électrique européen, en assurant une stabilité jusqu’alors inédite au sein du réseau électrique, garantissant la sécurité de l’approvisionnement non seulement pour la Suisse, mais également pour toute l’Europe centrale.

Swissgrid en bref

Swissgrid est la société nationale responsable du réseau de transport de l’électricité. Elle emploie plus de 700 collaborateurs de 28 nationalités différentes et aime à comparer son réseau à des «autoroutes de l’électricité». Elle est en effet chargée de transporter l’énergie des grandes unités de production suisses vers les centres de distribution. Il incombe ensuite aux gestionnaires de réseau de réduire la tension (de près de 1000 fois!) via les différents niveaux du réseau, pour que le courant arrive finalement dans nos prises à 230 volts. Swissgrid n’est donc responsable ni de la production, ni de la distribution aux consommateurs finaux: elle gère uniquement le transport via les lignes à très haute tension (380’000 volts = 380kV et 220’000 volts = 220kV).

Les missions de Swissgrid sont définies dans la Loi sur l’approvisionnement en électricité (LApEl). En qualité de membre du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (ENTSO-E), Swissgrid assume en outre diverses fonctions qui soutiennent la coordination et l’utilisation du réseau dans le cadre des échanges d’électricité en Europe.

Prix de l’électricité: quelle part pour le transport?

Sur le prix total de l’électricité payé par les consommateurs finaux, les coûts du réseau de transport de Swissgrid s’élèvent en moyenne à 7%. En 2024, un ménage présentant une consommation annuelle de 4500 kilowattheures (kWh) – logement de 5 pièces avec cuisinière électrique et sèche-linge (sans chauffe-eau électrique) – paiera donc environ 92 francs pour le transport de son électricité. La structure des tarifs est strictement définie par la Loi sur l’approvisionnement en électricité et l’Ordonnance sur l’approvisionnement en électricité.

Au cœur de l’Europe: l’étoile de Laufenburg

En 1958, une étape révolutionnaire dans l’histoire de l’électricité a été franchie lorsque les réseaux électriques allemand, français et suisse se sont entrelacés, connectés par une tension commune de 220 kilovolts, dans la vallée argovienne de Frick. Cette convergence électrique a donné naissance au célèbre nœud de transmission baptisé l’«étoile de Laufenburg». Ce point de couplage emblématique marqua aussi la naissance du réseau électrique européen, en assurant une stabilité jusqu’alors inédite au sein du réseau électrique, garantissant la sécurité de l’approvisionnement non seulement pour la Suisse, mais également pour toute l’Europe centrale.

PHOTOS: SWISSGRID

Également disponible dans:
N° 1 - Septembre 2023
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