« Prendre soin de la planète, c’est prendre soin de notre santé »
Changement climatique, pollution, accès à l’eau, effondrement de la biodiversité, la dégradation de notre environnement est aussi un enjeu mondial de santé publique. La professeure Johanna Sommer, responsable du cursus santé planétaire à la faculté de médecine de l’Université de Genève, plaide pour l’intégration des questions environnementales dans les pratiques médicales.
Propos recueillis par ÉLODIE MAÎTRE-ARNAUD • Photographies PIERRE VOGEL
Publié le
31
/
05
/
2024
Contenu partenaire
Cet article à été réalisé en partenariat avec:
Et si la préservation de notre santé était l’argument ultime pour lutter contre la crise environnementale ? Pour les scientifiques, le constat est sans appel : si la planète va mal, ce sont tous ses habitants qui vont souffrir. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), cette crise serait même la plus grande menace sur la santé humaine de ce siècle. C’est pour relever ce défi sanitaire que la « santé planétaire » a émergé il y a une dizaine d’années. Ce mouvement vise non seulement à comprendre les conséquences néfastes des dégradations de l’environnement sur notre santé, mais aussi à proposer des solutions pour soigner en nuisant le moins possible à notre planète. Car si la pollution et le changement climatique rendent malade, nos systèmes de santé pèsent, eux aussi, lourdement sur l’environnement. Un cercle vicieux ? Pour en parler, nous avons rencontré Johanna Sommer, médecin de famille à Genève. Elle est également professeure de médecine interne générale à la faculté de médecine de l’Université de Genève et responsable du cursus santé planétaire.
En quoi le changement climatique affecte-t-il notre santé ?
Je préfère faire le lien entre la santé et la crise environnementale en général, dont le changement climatique est un aspect important, mais pas le seul. La vie devient difficile par endroits sur la planète, et les conséquences de cette crise sur notre santé sont déjà perceptibles. La mortalité infantile a ainsi de nouveau augmenté au niveau mondial depuis le début du XXIe siècle, et le lien est clairement établi avec les problèmes environnementaux. De même, la courbe de l’augmentation de l’espérance de vie s’infléchit désormais dans les pays européens et diminue au niveau mondial.
Plus précisément, quelles sont les menaces de cette crise environnementale et leurs conséquences sanitaires ?
Les personnes âgées et celles qui sont atteintes de maladies chroniques souffrent de plus en plus des canicules estivales, avec un surplus de mortalité important depuis plusieurs années. La pollution de l’air augmente les affections respiratoires ; nous développons aussi toujours davantage d’allergies et de troubles immunitaires. Le changement climatique et la destruction de certains habitats naturels favorisent le développement des zoonoses (les maladies infectieuses passant de l’animal à l’homme). Les dégradations de l’environnement et les problèmes d’accès à l’eau entraînent des mouvements massifs de population, avec des répercussions sur leur santé. La menace est mondiale, mais ce sont les plus vulnérables qui souffrent en premier.
Quid de notre santé mentale ?
On observe une éco-anxiété grandissante, surtout parmi les plus jeunes. C’est sans doute l’impact le plus sournois de cette crise environnementale sur notre santé. Certains d’entre eux disent même ne pas vouloir d’enfants. Nous assistons à une véritable crise générationnelle remettant en question nos valeurs.
Ces risques sanitaires sont-ils aujourd’hui bien documentés ?
Oui, le corpus de science et de savoir s’accumule, et ces risques sont clairement documentés par de nombreuses études. Le prestigieux journal médical The Lancet a notamment lancé The Lancet Planetary Health, qui publie depuis plusieurs années des recherches en lien avec la santé planétaire. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) tire lui aussi la sonnette d’alarme depuis longtemps. La science est beaucoup plus avancée que ce que l’on en sait ! Et, selon moi, le problème n’est pas pris en compte à la mesure de sa gravité.
Pouvez-vous expliquer ce concept de « santé planétaire » ?
Il est né de la prise de conscience par la communauté scientifique de son devoir d’informer la population sur l’influence de nos comportements et de nos modes de vie sur notre environnement, et sur les implications très importantes qui en résultent en matière de santé. Ce concept fait le lien entre la santé humaine et la santé de la planète, comme élément fondamental de toute forme de vie. Il va de pair avec la nécessité d’agir pour réduire l’empreinte environnementale des soins. Tout cela est indissociable.
Nos systèmes de santé auraient donc, eux aussi, un impact négatif sur l’environnement…
Bien sûr. On estime que l’empreinte climatique des systèmes de santé, au niveau mondial, représente 4,6% des émissions totales de CO2. C’est énorme, deux fois plus que le transport aérien ! Surtout si nous gardons à l’esprit que les soins n’influencent notre santé qu’à 10%. Les déterminants les plus importants de notre santé sont, en effet, l’environnement, les ressources, l’éducation, ou encore les conditions et les habitudes de vie.
De quelle façon les soins polluent-ils ?
On en revient toujours à nos modes de vie. En Suisse, le poste le plus émetteur dans le domaine de la santé est le transport : les patients qui vont au cabinet, les médecins qui vont à l’hôpital, etc. La consommation de médicaments est aussi une source majeure de pollution, qu’il s’agisse de leur production (emballage, transport – souvent depuis le bout du monde) ou de leur élimination (accumulation dans l’environnement de substances nocives pour certaines espèces). Je peux encore citer l’impact des nombreux produits à usage unique et celui des technologies utilisées pour réaliser des examens médicaux.
Quels sont les leviers d’action pour limiter l’impact des soins?
Il faut remettre la santé au centre, et les soins à leur juste place. En Suisse – et dans les pays développés en général –, il y a un gaspillage énorme. Attention, on ne va pas dire aux gens de ne plus aller chez le médecin, ni aux médecins de ne plus prescrire d’examens médicaux ! Il s’agit de faire le rapport entre coût environnemental et qualité des soins. La Suisse est ainsi parmi les meilleurs pays au monde en matière de soins. Mais on trouve également dans ce peloton de tête certains pays du nord de l’Europe, alors que leurs systèmes de santé utilisent deux fois moins de ressources que le nôtre. Certaines études ont, par exemple, montré que 40% des IRM du genou prescrites ne sont pas utiles aux patients. Près d’une sur deux ! Et chaque IRM émet l’équivalent CO2 de 160 km en voiture. Autre exemple : les traitements contre l’asthme en aérosols. Une étude anglaise montre que leur utilisation représente 30% de la pollution due aux médicaments dans ce pays, à cause des gaz utilisés ; soit l’équivalent CO2 de 100 à 120 km en voiture. Pourtant, on sait faire autrement ! À quelques exceptions près, on peut en effet prescrire le même traitement sous forme de poudre à inhaler, avec vingt fois moins d’impact. Nous devons vraiment inviter les médecins et futurs médecins à être beaucoup plus critiques sur l’empreinte environnementale des traitements et des examens prescrits. Encore une fois, il ne s’agit pas de renoncer à soigner, mais de privilégier les soins ayant le moins d’impact, d’éviter les examens et les traitements inutiles, et d’être beaucoup plus actif dans le domaine de la prévention.
Comment la communauté médicale s’empare-t-elle du problème?
On a longtemps pensé que, parce que l’on s’occupe de soigner les humains, on fait forcément du bien à l’humanité. C’est faux ! Et de plus en plus d’associations médicales développent désormais un axe de réflexion sur la santé planétaire. L’Académie suisse des sciences médicales a également édité sa propre feuille de route et a créé un groupe de travail pour initier des changements dans les pratiques de la profession. Ça bouge vraiment à de nombreux niveaux, y compris dans les facultés de médecine. À Genève, où j’enseigne, c’est d’ailleurs à la demande des étudiants que nous avons mis en place, en 2021, un cursus longitudinal de santé planétaire. Nous avons conçu les cours en trois blocs : les menaces de la dégradation de notre environnement sur la santé humaine, l’impact environnemental des systèmes de santé, et le rôle et la responsabilité des médecins.
Justement, comment les médecins peuvent-ils communiquer ces messages auprès du grand public ? Et comment est-ce perçu par les patients ?
Sur une année, on estime que les médecins généralistes en Suisse voient, au moins une fois, 90% de la population. Nous avons donc non seulement accès à un grand nombre de personnes, mais aussi une relation de confiance avec elles, ce qui donne du poids à ces messages. Il ne s’agit ni de culpabiliser nos patients, ni de provoquer chez eux de l’éco-anxiété, ni de les limiter dans leurs traitements. Nous insistons beaucoup sur la notion de co-bénéfices, en mettant en avant les changements de comportements bénéfiques tant pour leur santé que pour celle de l’environnement. C’est vraiment de la prévention : nous les incitons par exemple à davantage marcher que prendre leur voiture, à manger moins de viande, à prendre moins de médicaments. C’est en ce sens que nous avons lancé, avec deux pédiatres genevois, l’initiative « 12 mois, 12 actions » au début de l’année (lire l’encadré, ndlr). L’information des patients exige aussi du médecin d’être très transparent lorsqu’il décide de ne pas procéder à un examen inutile ou de préférer tel traitement. Le plus souvent d’ailleurs, les patients comprennent très bien ce langage. Nous devons également nous efforcer de montrer l’exemple, notamment en adoptant des mesures d’efficacité énergétique dans nos cabinets ; ce sont des détails qui, certes, ne changeront pas l’état de la planète, mais qui ont quand même leur importance.
Demeurez-vous optimiste sur les capacités de l’humanité à renverser la vapeur ?
Je ne veux surtout pas être alarmiste, mais je pense que nous ne sommes globalement pas prêts à renoncer à nos modes de vie, parce que nous ne sommes pas encore véritablement affectés par la dégradation de notre environnement dans des pays chanceux comme la Suisse. À commencer par moi, qui ne prétends pas être exemplaire en tous points ! Je reste cependant optimiste, car je crois à l’intelligence de l’homme et à sa capacité à réagir. Cessons donc de nous comporter comme notre pire ennemi et apprenons à revenir à l’essentiel, pour notre santé et pour celle de l’environnement !
12 mois, 12 actions pour la santé et l’environnement
Stimuler le changement sans culpabiliser ni angoisser. Voilà l’objectif de cette campagne lancée au mois de janvier dernier par la Prof. Johanna Sommer et deux pédiatres genevois, la Dre Martine Bideau et le Dr Jean-Yves Corajod. En collaboration avec l’Université de Genève, la Société genevoise de pédiatrie et une équipe d’étudiants en médecine, le projet propose chaque mois une action « santé » bénéfique tant pour les personnes que pour l’environnement. Qualité de l’alimentation, activité physique ou encore diminution de la consommation d’antibiotiques : à l’occasion des consultations, les médecins de famille sont ainsi encouragés à aborder avec leurs patients les bons réflexes et les avantages de divers comportements, sur la base d’infographies très pédagogiques et rigoureusement documentées. « Ce sont des mesures simples, que chacun d’entre nous peut mettre en place à son échelle », relève Johanna Sommer. « Même si un seul individu ne changera pas les choses, il faut agir à tous les niveaux pour enrayer la détérioration de notre planète et de notre santé. » La campagne est soutenue par la « Revue médicale suisse », qui relaie notamment les infographies dans ses pages.
12 mois, 12 actions pour la santé et l’environnement
Stimuler le changement sans culpabiliser ni angoisser. Voilà l’objectif de cette campagne lancée au mois de janvier dernier par la Prof. Johanna Sommer et deux pédiatres genevois, la Dre Martine Bideau et le Dr Jean-Yves Corajod. En collaboration avec l’Université de Genève, la Société genevoise de pédiatrie et une équipe d’étudiants en médecine, le projet propose chaque mois une action « santé » bénéfique tant pour les personnes que pour l’environnement. Qualité de l’alimentation, activité physique ou encore diminution de la consommation d’antibiotiques : à l’occasion des consultations, les médecins de famille sont ainsi encouragés à aborder avec leurs patients les bons réflexes et les avantages de divers comportements, sur la base d’infographies très pédagogiques et rigoureusement documentées. « Ce sont des mesures simples, que chacun d’entre nous peut mettre en place à son échelle », relève Johanna Sommer. « Même si un seul individu ne changera pas les choses, il faut agir à tous les niveaux pour enrayer la détérioration de notre planète et de notre santé. » La campagne est soutenue par la « Revue médicale suisse », qui relaie notamment les infographies dans ses pages.